Journal d'un confiné. 1
La chronique de Mister Phil Good
Cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire et de partager avec vous les atouts, au milieu des désavantages, à vivre dans nos campagnes. J’avais songé à intituler cette chronique de « on n’est pas plus con qu’ailleurs ». Pardon l’expression est un peu grivoise, mais elle témoigne d’une certaine perception de nos territoires que les analystes qualifient de France périphérique. En fait, nous serions une sorte de vaste banlieue du pays France dont l’épicentre serait Paris. Vu la tournure de la situation actuelle, j’aurais pu opter pour « on n’est pas plus confiné qu’ailleurs ». Dans les termes, c’est vrai et les mesures sont bien nécessaires face à la crise sanitaire que nous traversons. Dans les faits, il faut reconnaître que nous sommes d’une certaine manière plus confinés, c’est-à-dire plus confinés que les autres, entendons que les gens des villes. Avec quelques 12 habitants au kilomètre carré contre 5000 voire 10000 dans les grandes agglomérations, la mesure qui contraint tout citoyen à faire désormais une sortie journalière maximale d’une heure dans un rayon inférieur à un kilomètre de son domicile, est dérisoire pour nous, habitants de la campagne. On en connaît les raisons : l’éloignement des services d’une part et des étendues de paysages désertés qui incitent à prendre l’air au-delà du périmètre désormais exigé. En comparaison, cela reviendrait de demander à un citadin de sortir 15 minutes chaque jour pour prendre l’air sur son balcon. Dans les faits, cela signifie encore que les réglementations ne tiennent pas compte de la réelle géographie de notre pays. Notre ruralité, comme les ruralités en France, couvrent un quart du territoire national habité par 3 millions de personnes. Dans le pire des cas, l’hyper-ruralité dans laquelle nous vivons, atteint par endroit un seuil de 4 habitants au kilomètre carré, ce qui nous laisse plus de chances de croiser un chevreuil qu’un être humain. Mais passons, il faut, et c’est impératif, respecter cette mesure au risque de laisser le virus continuer à se propager. Il n’empêche que la ruralité n’est pas un luxe contrairement à ce que des décideurs des hautes instances peuvent penser. La campagne se mérite et elle ne ressemble en rien à un vaste terrain de jeu accessible à tous. Pas de voiture, pas de salut. Pas de médecin, pas de bonne santé. Pas de couverture numérique et des tracas administratifs en plus, puisque tout est informatisé. Et pourtant en y regardant bien, nous avons bien plus sous nos pieds et autour de nous que ne peut l’espérer n’importe quelle personne étrangère à ces coins perdus de la France profonde. La première question qui se pose depuis quelques jours est celle de l’alimentation. Après le vidage des rayons des grandes surfaces qui retrouvent actuellement un équilibre, il n’y a plus qu’une opportunité : nos paysans. Ils ne manquent pas et ils sont de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes à venir s’installer ici, dans le châtillonnais ou dans l’Auxois. Ils sont issus d’un autre contexte ou ils reprennent la ferme familiale, peu importe, ils ont tous le même souci de nourrir au mieux les consommateurs locaux. Depuis quelques années, l’évolution de nos besoins leur donne raison. Il s’agit de manger frais, local, de qualité et si possible pas plus cher que dans les grandes enseignes. Seulement les fermetures successives des restaurants, des cantines et maintenant des marchés ouverts les poussent à devenir invisibles et nous laisse sur notre faim. La situation est d’autant plus incongrue que la demande augmente davantage en ce moment. Le drive fermier de Dijon qui regroupe des producteurs locaux dont certains du châtillonnais a doublé en quelques jours ses commandes. Alors à la porte ou presque de nos villages, des dépôts de produits ou des fermes de transformation des produits ouvrent grandes leurs portes. Si le jardin d’insertion de Gren voit son site de Sainte-Colombe sur Seine provisoirement fermé, il continue à produire des paniers de légumes qui me font saliver d’envie. La liste serait longue en allant des fromages de chèvre de Bure-les Templiers à la viande de porc de Chemin d’Aisey en passant par l’incomparable Epoisses d’Origny. Pardon pour tous ceux et toutes celles que j’oublie. Bien sûr, il ne s’agit pas de parcourir des dizaines de kilomètres pour parvenir à garnir son panier. Un passage, par exemple, par le moulin de Saint-Marc sur Seine, vous permettra de découvrir un magasin fermier rural où une majorité des produits locaux sont stockés. Il n’est évidemment pas le seul. Je ne souhaite pas en ouvrant cette chronique mettre dos à dos deux types d’agriculture qui ne s’accordent, hélas, pas toujours. Le célèbre bon sens des agricultures locales aurait tendance à réunir les deux types de production à partir du moment où elles sont complémentaires. De ce constat, il manque encore une chose cruciale, comme partout et comme toujours, une bonne information et une bonne coordination. Certains exemples sont bons à prendre hors de notre territoire, comme cela se passe dans le département du Gard dont le CIVAM (centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) vient de créer une cartographie interactive des circuits courts de production et de vente du département. Chaque paysan peut s’y enregistrer et un bon clic vous trace la meilleure route pour vous approvisionner. En conclusion, nous n’avons rien à envier aux autres, si nous savons regarder autour de nous et prendre le meilleur de ce que nos producteurs ont à nous offrir. C’est une richesse qui fait la différence dans nos « pauvres » campagnes. Cette proximité génère évidemment une économie locale, même petite, elle n’est pas négligeable, mais elle produit surtout de la fierté à vivre ici plutôt qu’ailleurs.
Allez, prenez soin de vous.
Chronique publiée dans l'hebdomadaire: le Châtillonnais et l'Auxois.
https://www.lechatillonnaisetlauxois.fr/