Journal d'un confiné. 3
La chronique de Mister Phil Good
A la guerre comme à la guerre
Pour celles et ceux qui, comme moi, n’ont pas connu la guerre, la déclaration du Président de la République a fait rejaillir des souvenirs de l’école et de nos chers manuels d’histoire. Faire la guerre au virus est une injonction que l’on partage aisément. Le terme de guerre est plus problématique. Il peut même prêter à des commentaires déplacés. Ça n’a d’ailleurs pas tardé dès le lancement de l’offensive, du genre les confinés sont des peureux qui protègent leur intérêt propre. Des collabos. Si, je vous promets, le terme de collabos a été lâché. Ça me fait penser à une ancienne habitante de mon village qui, de son vivant, commentait toutes les avancées de nos sociétés, de la machine à laver aux fusées, en disant « on n’arrête pas le progrès ». Disons qu’en matière des commentaires actuels, on peut dire aussi qu’on n’arrête pas le progrès. Je peux continuer à dérouler la métaphore avec des « contingents » de soignants aux « avant-postes ». Seulement, Didier Guillaume, ministre de l’agriculture, a fait mieux en appelant à créer une « armée » de volontaires pour venir en aide à notre agriculture en mal de main-d’œuvre. Manque de chance, des agriculteurs ont fait savoir que ce n’était pas la bonne période pour embaucher. Pas maintenant. D’autres se sont inquiétés des risques encourus par des débutants à monter sur des engins agricoles. Il n’empêche que 150 000 personnes ont déjà répondu à l’appel et si cela les aide à toucher un peu d’argent dans cette période de réclusion, c’est tant mieux. Mais là n’est pas le problème. Il réside plutôt dans une réalité dont j’ignorais le nombre : 200 000 saisonniers traversent les frontières pour prêter main forte à l’agriculture française chaque année. On peut se réjouir que des personnes venues de pays politiquement peu sympathiques, comme la Roumanie ou la Pologne, trouvent une issue provisoire à leur situation maudite en venant travailler en France. Comme on n’arrête pas le progrès, certains trouveront à dire que les saisonniers sont des étrangers, car les français n’aiment pas les petits boulots ou alors que les chômeurs préfèrent toucher des indemnités plutôt que de se ruiner la santé dans un champ ou en forêt. L’addition est assez simpliste : on n’aime pas plus les étrangers que certains français. Bref, on n’aime personne. Bientôt on ne s’aimera plus soi-même. C’est bien dommage, parce qu’en s’aimant, on en arrive à aimer les autres.
Nous sommes donc en guerre et l’autre est un ennemi potentiel puisqu’il peut être porteur du sale virus. La délation, comme à la guerre, fait son œuvre. J’ai vu machin sortir trois fois de chez lui… Pour en revenir à l’agriculture, bio, raisonnée ou conventionnelle, le premier souci est de trouver des débouchés à la production et si possible, plus rémunérateurs qu’une coopérative qui fait pression sur ses fournisseurs. Or, les solutions, parole de Phil Good, existent. L’une des principales tient aux groupements d’employeurs. Ces groupements sont de diverses sortes et l’agriculture possède les siens. Qu’est-ce qu’un groupement d’employeurs ? La définition est simple : « le groupement d’employeurs est créé par des employeurs qui souhaitent partager des salariés suivant leurs besoins ». Je vous l’ai dit, c’est clair comme l’eau de la Seine à sa source. C’est une relation gagnant-gagnant pour le groupement d’entreprises ou le groupement de producteurs en agriculture, comme pour le salarié. En effet l’employé du groupement échappe au piège de l’emploi ponctuel qui le renvoie à Pôle Emploi dès sa prestation achevée. Il est donc susceptible d’enchaîner les prestations auprès des membres du groupement jusqu’à prétendre à un contrat en CDI. Mieux ce système garantit de l’emploi aux locaux et donc il assure des emplois non délocalisables. Le site national Job GE, https://www.emploi-ge.com/, dispose d’un annuaire national des groupements. Or, vous me croirez ou pas, dans le domaine de l’agriculture, notre département de Côte-d’Or n’en possède aucun. Plutôt que de parler de guerre, il me semble qu’il y a une bataille à mener sur ce front. Pour terminer, je vais vous raconter une belle histoire. Elle se déroule au soleil dans le Vaucluse et on la doit à une femme. Les femmes sont souvent les plus audacieuses. Solène Espitalier, c’est son nom, travaillait alors à l’association des jeunes agriculteurs du Vaucluse et elle fit la constatation que les agriculteurs et viticulteurs manquaient de main-d’œuvre à la haute saison. Elle trouva une réponse surprenante en proposant aux producteurs d’employer des personnes handicapées oubliées par le monde du travail. En 2014, elle crée Solid’Agri qui proposent donc les services des personnes aux paysans du coin. Sceptiques au départ, ça se comprend, les agriculteurs et viticulteurs ont admis que ces personnes possédaient bien des compétences ignorées. A l’image des groupements d’employeurs, ces salariés d’un autre monde passant d’un champ à une vigne obtinrent le sésame de contrats en CDI. Mieux, les fruits et légumes invendus donnèrent l’idée à la géniale Solène d’ouvrir un laboratoire de transformation de ces invendus, laboratoire employant du personnel handicapé. Ainsi fut créé en 2017 la légumerie des Jardins de Solène : http://www.lesjardinsdesolene.com/
Alors, elle n’est pas belle la vie ? Mais cela ne vous empêche pas de continuer à prendre soin de vous.
Chronique publiée dans l'hebdomadaire Le Châtillonnais et l'Auxois: https://www.lechatillonnaisetlauxois.fr/