journal d'un déconfiné 7
Chronique de Mister Phil Good 7
8 mai 1945-8 mai 2020.
Les deux dates juxtaposées me donnent le vertige. 75 ans les séparent. Déjà. Ce monde de la libération me paraît étrangement proche, parce qu’il a été celui de mes parents comme peut-être des vôtres. Pour les plus jeunes, le 8 mai 1945 renvoie à une autre génération, plus ancienne, plus lointaine. Les deux dates côte à côte ne font pas uniquement référence à l’état de guerre décrété par Emmanuel Macron, mais davantage à cet espoir de fin d’une bataille sournoise, économiquement et humainement désastreuse. Nous n’en sommes plus à l’état de catastrophe mondialisée de l’époque, mais cela n’empêche pas quelques comparaisons. D’abord personne ne peut dire exactement comment nous allons redémarrer. L’Etat intervient auprès des grandes entreprises, Renault, Air France KLM entre autres, pour limiter la casse, mais quid des entreprises locales, des TPE et PME qui ont pris un coup sur la tête dont certaines auront bien du mal à se relever ? Et puis si les entreprises sont à sauver, que deviendront les hommes et les femmes qui auront dû abandonner leur activité ? La guerre n’est pas uniquement celle menée contre le virus, mais elle est bien davantage celle qu’il va nous falloir engager pour redonner à chacun et chacune un désir de redémarrer. On donne à loisir des majuscules aux mots qui régissent nos sociétés à commencer par l’Economie, la sacro-sainte qui permet d’être rémunéré pour les plus humbles ou de s’enrichir pour les moins modestes. Seulement, derrière la majuscule de l’Economie, il y a de l’humain, de la chair et des tripes, et pas exclusivement de la voiture et de l’avion. Je reviens aux deux dates dont la juxtaposition n’est pas de mon fait, mais d’une personnalité remarquable : Claude Alphandéry. Du haut de ses 97 ans, Claude se souvient du maquis de Drôme Ardèche qu’il organisa sur ordre de Jean Moulin. Par la suite il sera banquier, avant de créer un réseau de financement des petites entreprises sous le nom de France Active et d’être un des ardents promoteurs d’une économie (sans majuscule) sociale et solidaire. Je vous parle de lui, parce que j’ai la chance de le connaître et d’avoir agité mes neurones en sa compagnie pour réfléchir à cette économie sous-jascente qui est porteuse d’espoir. Ce petit monsieur par la taille, est une boule d’énergie que j’ai parfois des difficultés à suivre tant il pense efficacement et qu’il marche vite. Son regard ne trompe pas : éclairé et bienveillant. L’autre raison d’invoquer sa personne ici, c’est qu’il vient de publier une chronique dans un autre hebdomadaire que celui que vous tenez entre les main : L’Obs. La prochaine fois, il choisira peut-être le Châtillonnais-L’Auxois. En attendant je préfère vous restituer l’essentiel de ce qu’il relate dans son article. A l’automne 1943, lui et les siens, maquisards organisés en groupes très hétéroclites souvent opposés du point de vue idéologique, se retrouvent dans l’obligation de faire corps ensemble et de commencer à échanger sur l’après-guerre : «. Ils m'avaient délégué Simon Nora, futur conseiller de Mendès France, pour animer de formidables discussions sur la démocratie : quelles étaient les faiblesses, les errements de la IIIe République? Pourquoi le Front populaire, après des avancées prometteuses, avait-il échoué? Comment donner à tous accès à l'éducation, aux soins, etc.? » De ses réunions entre résistants, responsables politiques et membres de la société civile, va émerger le conseil national de la Résistance et son programme de société rénovée (retour du suffrage universel, nationalisations des entreprises ou organisation de la sécurité sociale). Or donc, les analogies entres les deux dates sont frappantes toujours selon Claude Alphandéry « De même que dans les maquis de la Libération la lutte contre l'envahisseur était liée à une vision de la démocratie sociale, de même les résistants d'aujourd'hui -qu'il s'agisse de médecins, soignants de tout ordre, artisans de la vie quotidienne ou citoyens militants pour un monde plus soucieux de l'humain et de la nature se battent à la fois contre les souffrances et pour la mue d'un système périmé » . Notre vieux résistant conclue par l’impératif de sortir de la crise actuelle par une transition écologique et solidaire qui nécessite de choisir les activités essentielles à notre vie et non les grandes autoroutes de la production sauvées par la manne de l’Etat. Ces activités sont d’abord locales, équitables et durables. En fait tout part de chez nous et tout revient chez nous sans pour autant condamner les échanges avec les autres. On peut rêver, non ? Prenez soin de vous, même en ces temps de préparation à notre libération future. En espérant que déconfinement ne sera pas synonyme de déconfiture.
Article paru dans le Châtillonnais et l'Auxois: https://www.lechatillonnaisetlauxois.fr/