Journal d'un déconfiné 12
Chronique de Mister Phil Good 12
Les arts et la culture, le big bang de la crise
Le Big Bang : J’aurais préféré écrire « Big band » avec une flopée d’instruments qui rythment les beaux jours qui arrivent. La culture et les arts sont en train de comptabiliser les victimes directes ou collatérales de la crise actuelle. Avant de d’imaginer l’avenir du secteur, faisons un rappel de ce que couvrent les arts et la culture en France. D’abord une première évidence, qui n’est pas évidente pour tout le monde, arts et culture ne se réduisent pas à produire du loisir et du dérivatif. Les événements culturels, les lieux, les femmes et les hommes qui les animent, les artistes, les techniciens, les intermittents du spectacle ne sont pas là pour faire « joli » dans le décor ou pour apporter une parenthèse enchantée dans le monde de brutes qui est le nôtre. Ils ou elles représentent un poids économique avant même de parler de leur capacité d’invention qui est considérable. J’ai adopté une règle pour faire comprendre cette réalité : un euro investi dans les arts et la culture rapporte 3 euros. Un festival qui coûte clé en main 50 000 euros produira 150 000 euros de bénéfice. La fourchette utilisée est la plus stricte imaginée, car souvent le rapport dépasse cette règle du 3 pour 1. Prenons l’exemple d’un festival de musique. Le coût supporte les frais d’artistes, de techniciens, de matériel, l’accueil, la communication et l’organisation de l’événement par une équipe dédiée. Les bénéfices couvrent quant à eux l’utilisation de prestataires locaux, d’entreprises partenaires employées par l’organisateur, les hébergements, la restauration et tous les achats effectués par les festivaliers et visiteurs. En 2016, selon les chiffres du Ministère de la Culture, chiffres officiels donc à revoir à la hausse, le foisonnement de ces événements et de ces propositions pesait 44,5 milliards d’euros. Plus de 600 000 personnes sont employées par le secteur. On compte 270 000 associations actives dans le domaine culturel avec plus de 3 millions de participations bénévoles et 200 000 emplois salariés. Savez-vous encore que la France métropolitaine dispose de plus de 2000 cinémas, près de 500 conservatoires (du communal au national), que 88 millions de visiteurs internationaux fréquentent notre patrimoine et nos événements culturels, que 60 millions de personnes sont allées au musée dans la même année et que 27 millions de personnes ont assisté à un spectacle musical. Si on ajoute le théâtre, la danse et le cinéma, vous allez avoir le tournis. J’arrête là.
Il faut se « réinventer ». Ce mot n’est pas de moi, mais du président de la République en faisant appel le mois dernier aux énergies du monde culturel et artistique. En général, le mot est mal entendu et à plus forte raison quand il s’adresse à une population de professionnels dont la première mission est de créer, c’est-à-dire d’inventer en permanence. Si j’avais mauvais esprit, je traduirais l’injonction présidentielle par « faites du neuf avec du vieux » ou « bricolez pour pouvoir travailler ». Selon le calendrier annoncé par le premier ministre, le 22 juin les salles de cinéma pourront rouvrir à condition de respecter les règles barrières ainsi qu’il est prévu pour les théâtres. Distanciation et port de masques obligatoire, c’est une sorte de carnaval auquel nous sommes conviés* Bien entendu il faut faire avec. Pendant ce temps des artistes inventent, Monsieur le Président, des formules de sauvetage. « Ouvrir l’horizon » est le nom choisi par des compagnies et des artistes des Pays de la Loire pour désigner des sortes de paniers culturels à l’image des paniers d’alimentation en circuit court. Dans le panier, un spectacle surprise dont on peut faire l’acquisition pour une représentation chez soi en petit comité http://ouvrirlhorizon.fr/. D’autres s’inquiètent du retour des subventions locales dans le giron du ministère et réclament la sanctuarisation de ces subventions afin qu’elles ne quittent pas les territoires auxquels elles étaient destinées comme c’est le cas avec les « cultivateurs » dans la Nièvre https://www.facebook.com/lescultivacteurs/. Nos communes n’ont pas attendu la catastrophe pour faire des propositions de qualité : Semur et son petit bijou de théâtre à l’italienne, Venarey et son très réussi centre socioculturel, Montbard qui redonne vie à Buffon et Châtillon qui construit sa médiathèque. Preuve que la vie est inenvisageable sans culture aujourd’hui comme demain.
* Depuis la publication de cette chronique, le gouvernement est revenu sur sa décision des fauteuils espacés dans les salles obscures. Obscur est bien le mot.
Chronique publiée dans l'hebdomadaire le Châtillonnais et l'Auxois: https://www.lechatillonnaisetlauxois.fr/