Journal d'un déconfiné 13
Chronique de Mister Phil Good 13
Bas les masques !
Qui aurait imaginé qu’en 2020 nous serions masqués comme des contrebandiers ou des cow-boys ? Bien entendu, les gestes barrière, comme on dit maintenant, sont à respecter et il faut éviter de transmettre le méchant Covid, même si on ne l’a pas. Pourtant en voyant une photo d’un couple attablé dans un restaurant et protégé pour chacun par une cloche en plexiglas, je me suis pincé pour savoir si je ne délirais pas. L’intimité et le plaisir partagé sous haute protection. Qui l’aurait crû ? Peut-être s’agit-il non pas d’un dîner en amoureux, mais d’une première rencontre ou alors d’un couple illégitime qui se cache des regards indiscrets. Tu parles, avec un plexi transparent, c’est pas gagné. Pire, les passants qui tournent leur regard vers la fenêtre du restaurant, ne voient qu’eux. Manger sous cloche. Nous sommes loin du temps où l’on pouvait se taper la cloche ou aller déjeuner à la Cloche à Dijon. Cela vaudrait la peine de demander au célèbre établissement dijonnais si les repas à la Cloche sont pris sous cloche. Bientôt si cela continue, nous serons tous costumés en apiculteur et nous devrons nous enfumer pour rendre le virus passif. Non, ce qui m’inquiète le plus, les ami(e)s, c’est ce que nous allons devenir en repoussant, en éloignant, en masquant et en mettant le monde sous cloche. Cela me rappelle le grand argument répété a volo par les opposants au projet de 11ème parc national : nous ne voulons pas êtes mis sous cloche. Ben, c’est gagné les gars. Il y a en effet quelque chose qui cloche : que l’on dématérialise à l’ère du numérique, on peut le comprendre. Que le virtuel soit le décideur de la finance mondiale, on peut soit s’incliner, soit lui faire un bras d’honneur, mais que nos relations entrent dans l’abstraction, c’est inédit, perturbant et si cela dure, très inquiétant. Pas touche. Il m’est interdit d’embrasser mes ami(e)s sans que l’un d’eux ou l’une d’elle ne s’inquiète des risques encourus. Restent les mots, vous me direz. Sauf qu’eux aussi sont de plus en plus bâillonnés. La langue de bois. Je laisse les paroles à Claude Nougaro : « la langue de bois. Pour dire qu’on triche avec les mots. Pour dire qu’on ment et de surcroît on insulte aussi les ormeaux. Faut-il que l’homme soit macabre pour blasphémer la langue d’arbre. La langue du bois ». Magistral Claude. Il est vrai que notre monde s’est aseptisé non seulement pour des raisons objectives d’hygiène mais aussi pour une notion de sécurité. Vérifiez les programmes électoraux des 20 dernières années et vous constaterez que le terme de sécurité a pris autant de poids que celui de l’emploi. Nous n’avons pourtant jamais véhiculé autant de maladies, de virus et de bactéries que maintenant en redoublant la consommation d’antibiotiques. Chassez le naturel, il revient au galop, disait-on. Aujourd’hui la quête du naturel, du vrai, de l’authentique est devenue une raison de vivre que personne ne reniera. Bas les masques ! Comment se regarder dans un miroir pour nous interroger sur notre sort, si nous avons de la peine à nous reconnaître avec notre masque en travers du visage ? Nous sommes en quelque sorte des mutilés de guerre, puisqu’il a bien été question de guerre selon les propos présidentiels. Avant de gagner les hommes, les pandémies catastrophistes se sont répandues dans la littérature d’anticipation ou de science-fiction de Mary Shelley avec le dernier homme à Stephen King avec le Fléau. Un grand écart de près de deux siècles de cauchemars insensés inventés par les maîtres de l’insensé. Le cinéma s’est largement inspiré de ce trésor littéraire pour en faire des adaptations qui nous ont cloués d’effroi dans les fauteuils des salles obscures. Or ce que nous vivons depuis 3 mois est du même ordre que les films sur des mondes dévastés. C’est ce qui nous rend crédules et qui alimente la peur. Je me suis réveillé bien des fois au milieu de la nuit en me disant que j’étais entré dans un mauvais film et que notre esprit nous jouait de mauvais tours. Je ne sais pas comment nous allons nous réveiller de ce scénario de peste mondialisée. Je ne retiens pour le moment que deux exemples qui prouvent bien que le protectionnisme outrancier ne protège aucunement l’humanité et que la sécurité à coup de matraques n’apporte aucune solution. Bolsonaro au Brésil, sombre arriviste qui n’a d’égard que pour l’ancienne dictature, et Trump aux Etats-Unis. Les deux cuistres, qui s’estiment au passage, ont prôné la protection du marché et de l’emploi contre les méchants prédateurs que représente le reste de l’humanité. On voit le résultat.
Chronique publiée le 18 juin dans le Châtillonnais-l'Auxois