avant on n'avait pas beaucoup d'argent dans les campagnes, maintenant on est pauvre
Cet article, qui n'en est pas vraiment un, risque d'être long. je vous avertis à l'avance au cas où vous auriez mieux à faire que de lire une longue complainte d'un blogeur pris en tentative d'explications. Je réagis à la télévison et à son information. Toujours critique à son égard et c'est plus que normal. Je suis le produit d'une éducation fraternelle qui m'a mis en condition très tôt sur les aléas sinon les dangers de l'addiction télévisuelle. Merci mon frère. Ce soir, comme il arrive fréquemment, je passe d'I Télé à Bmf et vice-versa. La première est plus souple et moins démagogique que la première et la seconde est parfois plus orientée sociétale que ne l'est la première qui, bras secondaire de canal+, serait davantage dans une sorte de complicité culturelle avec son téléspectateur. Bref. la dite BFM avec ses voix de journalistes compressées pour rester dans le son voix de canards neutres, diffuse un reportage sur une antenne mobile du secours populaire qui véhicule des biens de première nécessité dans les campagnes esseulées. Des personnes témoignent, RSA, chômeurs de longue durée, femmes divorcées avec enfants et sans emploi, tous avouent leur honte à s'afficher pauvres. Etre pauvre à la campagne, c'est être dans le colimateur d'une collectivité resserrée plus exigente qu'ailleurs et plus fustigeante qu'ailleurs. A la campagne, il faut jouer des apparences pour ne pas tomber sous le couperet de la vindicte de voisinage. Etre pauvre à la campagne, c'est faire comme si. C'est aller dans la seule épicerie du village acheter deux paquets de pâtes en comptant les pièces jaunes qui gisent au fond du porte-monnaie. C'est laisser croire que l'on n' a pas pris suffisammment, que l'imprevu nous empêche de régler comptant les achats qui se résument, pourtant, à des dépenses de première urgence. C'est peine perdue malgré tout, parce qu'à la campagne, en moins d'une journée, le voisin a compris que la vie avait basculée dans la déshérence, le calcul et le faux-semblant. l'anonymat de la ville possède cette seule vertu d'absorber ce jugement et cette connaissance de l'autre. La campagne n'est pas complaisante, elle sait, elle sent et elle juge aussitôt. Alors, inévitablement, je pense à mon enfance dans ma campagne et à ceux qui n'avaient pas "beaucoup de moyens" mais qui n'avaient pas à jouer un double jeu. Ce n'est ni une question de solidarité perdue, ni l'effet d'une immonde crise qui continue à répandre son cancer d'indigence. Non, le changement tient à nous, seulement à nous. A nos prétentions, aux mirages de ce que la réussite pouvait incarner. Réussir ici, dans ma campagne, c'était avoir le standing de vie de catalogue: salon et canapé, télévision et congélateur, hygiène et éducation. j'ai croisé bien des personnes, dont une famille proche de celle de mes parents, dont les enfants se lavaient le dimanche soir dans la bassine installée au centre la cuisine en s'enduisant d'un savon de Marseille gras et épais. J'en avais la nausée, fils de petits notables de province que j'étais, bénéficiant d'une salle de bains avec eau chaude à volonté. je ne saisissais pas ma chance, mais je ne voyais qu'une différence insupportable. l'image reste gravée dans ma mémoire. Je n'ai pas jugé, je n'ai pas considéré cette différence honteuse, mais je ne comprenais pas pourquoi eux la bassine et moi la baignoire. Surtout je parvenais à me convaincre que cette démonstration d'hygiène ostensible et pauvre, ne me concernerait jamais. Elle ne m'a jamais affecté certes directement, j'y ai échappé, mais elle est là, blottie dans un coin de ma mémoire. Rien ne pouvait malgré tout me permettre de fustiger ces personnes et cette famille. J'avais de la chance, une chance normale, logique et naturelle. Point. Alors que s'est-il passé pour que cela change? L'organisation sociale, les réglementations, les prérogatives, les normes et les cadres administratifs, oui tout cela a ordonné un monde nouveau, en tout cas, différent. Nous ne vacillons pas sous le poids d'une nomenclature publique et administrative éreintante, mais nous sommes écrasés par les contraintes que le monde moderne a souhaité à commencer par une hygiène sociale outrancière. Elle peut paraître symbolique, elle est néanmoins dévastratrice. A défaut de vies, nos campagnes se sont voulus propres, sécurisantes. Si les commerces disparaissent et le lien social qui les accompagnent aussi, il faut au moins préserver la quiétude des derniers vivants. L'électoralisme a assimilé le troisième âge comme le silence envahit les pierres tombales.Pas d'herbe folle et gardons la sépulture intacte. La mode consumériste a pris le dessus. La boucherie du village a abandonné son héroïque commerce face aux emballages sous céllophane de la grande distribution. L'accompagnement familial de nos parents a été supplanté par l'établissement adapté et a priori sécurisé, afin de garantir les fins de vie. Les liens se sont distendus. Le voisin n'est plus un ami avec lequel les échanges de service vont de soi, mais il devient un concurrent à la survie. Ces images, ce soir m'ont plus que peiné, elles m'ont rappelé que la nostalgie qui nous étreint à ce moment-là ne doit surtout pas être gagnée par la cause du parti d'extrême droite qui n'a qu'une règle d'existence: l'exclusion catégorique de l'autre, l'autre c'est-à-dire celui qui a volé notre dignité.