Ceux qui savent, le savent.
La formule tautologique à souhait est l'anti-manuel socratique de la connaissance. Galipette culturelle exemplaire qui ne vaut pas mieux qu'un "ceux qui ne savent pas, ne le savent pas". Version sauvage de la connaissance, le savoir est un savon hygiénique intellectuel qu'on se répand sur le haut de l"occiput pour éviter le blasphème de l'incompréhension. Combien sommes-nous à savoir sans connaître? A savonner le voisin d'une pelletée de rumeurs sous le prétexte que nous savons. Ton voisin est un con. je le sais. Mais le connais-tu, demande l'autre embarrassé par autant de certitudes? "Ceux qui le savent, le savent", expression idéologique que Fredo, alias Frédéric Mitterrand, déclare dans son triste rôle de ministre d'une soirée des Molière où nous aurons eu tous une pensée émue et troublée pour Jean Drucker. Difficile de faire le rapprochement, je vous le concède. Le théâtre était moribond lors de la version télévisuelle de 2009 martyrisée par le même Fréderic dépêché vite fait de la villa Médicis. Frédéric, pas encore ministre, qui se prenait les pieds dans les noms des moliérisés qu'il écorchait faute de les "connaître". On ne peut pas lui en vouloir, sinon de rappeler que le service public pensait qu'une hécatombe audimatique annoncée d'une soirée des Molière valait bien un nom vedette pour limiter les dégâts. Cette année, on faisait popu, sans aucune référence à Vilar, mais à Créteil, chez Didier Fusillier, maître d'oeuvre des mégas opérations lilloises. Créteil, dans l'imaginaire collectif qui sait, mais ne connaît pas, ça doit sonner juste, authentique, limite caillera. La télévision publique misait gros sur cette version plus nature avec 30 minutes de Feydeau en ouverture pour rameuter la foule du cathodique. La suite prévue était de réduire les louanges interminables à l'adresse des nominés et les remerciements à la pelle. A peine mieux que la version précédente qui était dépourvue de tout extrait des créations et spectacles en lice, un furtif diaporama faisait office de mise en bouche avant la traditionnelle et fastidieuse ouverture des enveloppes. Imaginons un équivalent pour la remise des César illustrée par des photos des affiches des films. Rien que des choses pour donner envie. A la limite, ces soirées permettent de dégoupiller rapidement les grenades de malaises et de renvendications qui parsèment les chemins tortueux de la culture. Donc le préposé aux doléances fut convié à lire les griefs syndicaux avant de repartir dans les placards du théâtre de moins en moins subventionné. Le garçon énonça fort à propos une liste de craintes liées aux réformes en cours des collectivités et de la fiscalité, réformes dont on peut présager qu'elles auront des effets négatifs sur l'aide à la création artistique. Rien de mal sinon que d'habitude une caméra s'offre le portrait d'uin ministre qui sourit jaune ou qui pense intérieurement que cette fonction est décidément un piège à con politique. Ensuite, en général, on en revient aux congratulations des autres nominés. Pour la première fois, à ma Connaissance ( à ce que je sais...), le ministre prit le micro pour répondre en direct, yes in live, au public chéri des amis de la saltimbanquetitude, que tout cela était faux et que ceux qui le savent, le savent et que les autres peuvent frapper à sa porte. Je crois que Frédéric y croit. Mais la question n'est pas là. Elle est bien plutôt dans l'utilisation du plus grand média qu'est la télévision pour apostropher un interlocuteur qui ne fait qu'exécuter une tâche coutumière de ces soirées. C'est un peu le trou normand du repas de mariage. On prend cul sec le fond d'alcool et on bouffe à nouveau après, sauf que là, le haut représentant casse le cérémonial et finalement renforce le principe très partagé par cette fin de 5ème République: l'annexion des médias. La première dame de France vient expliquer que les ragots sont pas beaux sur Europe 1 et un ministre sait que nous savons, enfin ceux qui le savent, à la maison des arts de Créteil. Je n'ai pas le résultat d'audience de cette retransmission qui doit être aussi décevante que la précédente et peut-être moins que la prochaine, mais un fait est certain, le théâtre devrait s'épargner cette pauvre mise en scène et nous, nous interroger sur les prévisions de disparition à venir de la culture.