Jean Fourastié, "les trente glorieuses" et son village pilote: Douelle.
Douelle est un village paisible du Lot blotti sur une boucle du fleuve qui serpente dans la vallée. Nous sommes à 11 kilomètres à l'ouest de Cahors en plein Quercy. Douelle, 750 habitants, pas de vestiges médiévaux comme tant d'autres cités, mais une base fluviale qui attire chaque été des amateurs australiens, américains et russes. Une petite dynamique locale en quelque sorte au milieu de cette bourgade dont la population est en grande partie composée de retraités. Pourtant Douelle possède une particularité et, disons, une figure plus que locale: Jean Fourastié, économiste, aujourd'hui décédé, et auteur de très nombreux ouvrages dont le plus célèbre reste "les trente glorieuses". Rédigé à partir de l'évolution du village de 1946 à 1979, village dans lequel Fourastié a passé son adolescence, le texte fit de Douelle un village référence ou pilote dans l'observation des changements édifiés par les fameuses trente glorieuses, celle de la production intensive, de la mécanisation, de la consommation et des nouveaux comportements synonymes de modernité. Le Monde consacrait récemment une enquête à ce village, cette fois, trente ans après les trois glorieuses décennies. Trente ans de modernisation suivis de trente ans de bouleversements, un villageois parle de "tremblement de terre". Revenons aux sources de l'histoire et à cette première période qui débute en 46. Douelle est "sous-développé", engoncé dans un monde agricole traditionnel (tous les actifs du village sont agriculteurs sans exception) et où tout le monde est baptisé. Douelle, 1975: l'économie est industrielle et tertiaire et l'église n'est plus fréquentée que les jours de fête. Les exploitations agricoles se sont rassemblées pour faire face au défi de la production: elles étaient 92 en 1945 et 39 dans les années 70. 2009: ces exploitations ont quasiment disparu et seuls sept vignerons produisent encore un peu de vin transformé en mono-culture et soumis à l'AOC du Cahors. Plus de vente en vrac où chacun venait s'approvisionner directement chez le récoltant, mais des bouteilles qui circulent plus difficilement sur les marchés locaux ou dans la grande distribution. Un seul des sept viticulteurs fréquente encore la cave coopérative et sur les sept, encore, trois ont un avenir compromis. Pour obtenir des primes de Bruxelles, Claude a dû faire arracher les vignes et son fils est employé de la caisse du crédit agricole de Cahors. "Il vaut mieux qu'il soit là où il est", témoigne le père. Les derniers résistent avec l'emploi de leur femme. Dix femmes du village travaillent dans les services aux personnes âgées et sur les quinze conseillers municipaux, sept sont des femmes dont le maire. néanmoins Douelle a conservé sa population voire l'a vue augmenter: certes les naissances ont été divisées par deux en trente ans, mais le nombre de décès annuel est identique à celui enregistré en 1970 et de nouvelles maisons ont germé sur l'autre rive du fleuve habitées par quelques néo-ruraux alors qu'une poignée d'anglais a entrepris de retapé les anciennes. Il n'empêche qu'ici, comme ailleurs, la population survit et les "gens les plus à l'aise dans le village sont les retraités" avoue un ancien de Douelle.