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04 Jan

Noire campagne: le Sénégal

Publié par Philippe BERTRAND  - Catégories :  #coup de gueule

Je ne vais pas vous faire le diaporama des vacances, parce, normalement, tout déplacement vers l'Afrique ne s'apparente pas à un séjour de vacances mais de découvertes. On peut y mettre tout ce qu'on veut, d'ailleurs ne le fait-on pas, sur la terre africaine: ses remords d'ex-colon toubab  et maintenant de non-assistance à continent en danger. On peut au contraire y déplorer l'abandon de toutes les infrastructures diluées dans le non-être depuis les indépendances. Pire encore, on peut y répandre un bon sentiment de pitié. Une chose est certaine, il ressort de toutes ces attitudes un immense sentiment d'impuissance. Entre un premier pied en Afrique francophone au Burkina-Faso en 1984 et un dernier à Dakar en 2009, rien n'a changé. Les odeurs sont les mêmes, je les aime ces odeurs même quand elles agressent l'olfaction du blanc occidental. Un concentré d'oignon grillé, de terre latérite et de chaleur humaine. A Ouagadougou, ce sont les vautours qui jouent aux grands seigneurs sur le trottoir qui fait face à la sortie de l'aéroport. Ce sont les éboueurs de la ville. A Dakar, ce sont les chauffeurs de taxi-brousse qui vous attentent comme le feraient des familles venues accueillir les leurs de retour d'un long voyage. Entre les deux, j'ai posé un bout de valise à Bamako et je ne supporte toujours pas le duo malien aveugle qui psalmodie un dimanche à Bamako. La chanson n'a aucun intérêt tout comme les dimanches au Mali. D'ailleurs il n'y a pas de dimanche, mais des vendredi. Ougadougou, Bamako, Dakar et un point commun parmi d'autres: un trafic insensé de voitures déglinguées, de camions rafistolés qui dégagent des fumées d'usine, des anonymes qui traversent par grappes les routes, jour et nuit. Quelques indices de comportement font la différence: à Bamako,le pont qui enjambe le Niger est aussi fréquenté dans le sens ville-aéroport que dans le sens aéroport-centre ville. Pourtant en direction de l'aéroport, c'est un no man's land complet. A Dakar, gonflé de ses 2 millions d'habitants au minimum, on vient des banlieues le matin et on repart vers elles le soir, comme à Paris, la cohue indescriptible en plus.
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 le Sénégal n'est pour autant pas mieux loti que les autres et parfois je pense que sans sa côte poissonneuse et touristique il serait bien pire que les deux autres. La devise du Sénégal: Un Peuple, un But, une Foi. Bêtise:  au minimum sept peuples ou entités ethniques, Wolofs majoritairement puis Peuls, Sérères, Diolas, Malinkés, Soninkés et Manjaques. Un Peuple, tu parles, pardon, vous parlez. Les mariages inter ethniques sont bannis, de même que l'homosexualité destinée à la prison systématique. Un But: lequel? le football est certainement celui qui fabrique le plus de consensus et une Foi: Musulmans, catholiques et animistes, ça fait trois foi(s) si je ne m'abuse. De foi "politique" nenni, puisque depuis l'indépendance, le Sénégal est un des rares pays à avoir assimilé les principes constitutionnels français.  Deux assemblées, un quinquennat présidentiel et un suffrage universel direct. Ici on vote, on ne prie pas. Enfin normalement. La seule prière exauçable est celle qui vous sortira de l'ornière car sur ses  13 millions 700 000 habitants officiels et donc  recensés, 54% vivent sous le seuil de pauvreté. Là encore il faut relativiser car sur un PIB de 1600 dollars par habitant et par an (!), le seuil de pauvreté est plus bas que terre. 48% de chômeurs étaient recensés en 2008 dont 40%de jeunes citadins.

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A la campagne, il y a le couvert de la  famille ( le couvert, comprenez,  la couverture, l'argument et non le couvert pour manger). Un parent qui élève une poignée de chèvres et un arpent de terre de mil peut subvenir aux besoins premiers de la famille. Ailleurs, en ville, point de salut. Reste à la limite la côte ( 560 kilomètres de littoral) et ses petits paradis touristiques où les jeunes peuvent rançonner les bermudas ventripotents à coup d'artisanat local à deux francs CFA. ( En réalité à au minimum à deux euros le bracelet de pacotille, de quoi nourrir une famille pendant une journée). Les villages de brousse, eux vivent, d'une monoculture dérisoire et des trois chèvres laissées en liberté et vont se fournir de temps à autres sur les marchés improvisés le long de la route qui, malgré ses nids de poules innombrables, voit circuler sa principale sève économique. Les plaines sont à cet endroit sans fin et se perdent dans un horizon improbable si ce n'est des barrières de baobabs aussi majestueux les uns que les autres qui contraignent quelque peu ce décor monotone. Tout est monotone, mais beau. l'Afrique est répétitive, mas belle, belle à en crever. La vie ne coûte pas cher. Mes connaissances du premier jour, trois femmes "brocanteurs" qui tentent de soudoyer le touriste avec les bracelets et colliers soi-disant locaux ne sont plus que deux le sur-lendemain, la troisième préparant les obsèques d'un frère égorgé la veille sur la plage par un autre frère. Un règlement de compte banal.
M'Bour, à quelques 7 kilomètres de là, est le principal port de pêche du pays. Dans cette ville jumelée à Concarneau, il est rare qu'on ne vous aborde pas en s'attribuant un qualificatif de breton. Karim le breton me conduit jusqu'à son village. Le port lui-même n'existe pas, mais les pêcheurs étalent en fin de journée leurs prises sur la plage. Les veuves, souvent, dépècent le poisson sur le sable: requins marteaux, lottes par centaines, crabes, les meilleurs pièces sont sélectionnées et conditionnées un peu plus haut sur une plate-forme d'où les poids lourds transporteront les denrées vers Dakar puis vers la France.

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Le menu fretin est négocié à même le sol par la population locale au milieu d'une nuée de mouches. Juste derrière la plage, les faubourgs de la ville et un large sentier où s'étendent des tapis de grossistes en tout et en rien. L'un d'entre eux attire toutefois le regard: sa parcelle de vente est garnie de monceaux de vêtements en provenance de la Croix-Rouge Internationale. Des baskets défraîchies et des anoraks inutiles en ces lieux se mêlent aux tee-shirts publicitaires  répandus à terre. J'apprends que ces vêtements sont mis en vente après que l'Etat sénégalais les ait lui-même vendu à ces grossistes. Il n'y a pas de petit profit, mais ma bonne conscience de donateur en prend un coup sur l'occiput.
Finalement, la brousse est plus tentante, parce que moins soumise aux suspicions. Ici on ne triche pas, Madame. L'école de Faylar nous accueille après une petite demi-heure de chemin sinueux entre les baobabs centenaires. Un terrain vague couvert de sable et parsemé d'herbe grillée. Quatre bâtiments de parpaings et protégés d'une tôle ondulée abritent 250 enfants, de l'élémentaire au cours moyen, soit 60 à 65 enfants par classe. Certains parcourent sept kilomètres à pied pour rejoindre leur école. Les yeux brillent. Les miens aussi, pas pour les mêmes raisons. Je parle philosophie avec Demba, directeur de l"école. Je ne sais pas si je dois invoquer la raison historique hégélienne ou le malaise existentiel de Schopenhauer. A la limite Nietzsche pourrait faire l'affaire.

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En bon toubab, le voyage exige le passage par Gorée. Le point noir de la négritude. Des collabos noirs, il y en a eu pendant les trois siècles que durera l'abominable marché de la chair humaine. Gorée verra passer 22 millions d'esclaves, 6 millions resteront sur le carreau et une bonne portion dans les ventres des requins qui frétillent au pied de l'île. Le  conservateur de la maison des esclaves, comme les requins, ne mâche pas ses mots: l'Afrique est en proie à une autre forme d'esclavage car les temps modernes ont favorisé les exploitations d'un sous-sol juteux par des compagnies privées occidentales avec la complicité des Etats ou non. Le péquin noir moyen n'a pas même la poussière de ces négoces. D'ailleurs le Sénégal présente la particularité de ne rien posséder d'extraordinaire en son sous-sol. Au moins il est épargné des prédateurs.

Salam, notre ami, essuie une larme sur le tarmac de l'aéroport international Léopold Sédar Senghor. Nous sommes tous tristes, tristes de nous-mêmes, tristes du chaos si ordinaire de cette Afrique, tristes de ne pouvoir rien faire, bientôt de ne pouvoir plus rien dire.

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V
<br /> Vraiment ce blog est super. Félicitations !<br />
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P
<br /> <br /> Merci Beaucoup!!<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> <br /> Bonjour<br /> <br /> <br /> Je vous remercie vraiment d’avoir répondu.<br /> <br /> <br /> Effectivement je pense aussi et plus précisément que je ne vous ai pas compris du tout.<br /> <br /> <br /> En fait c’est çà : je ne vous comprends pas. ça sert à quoi d’écrire, entre 2 paragraphes sur le Burkina et<br /> le Sénégal, 2 lignes sur Bamako ? À part savoir que vous vous êtes arrêté dans la capitale malienne et suivi le parcours aéroport / hôtel / aéroport ?<br /> <br /> <br /> Vous n’êtes pas ethnologue mais un simple voyageur et/ou un journaliste ; bien sur la subjectivité est en<br /> nous ; l'allégorie de la caverne de Platon nous avertit combien est pénible l’accession<br /> des hommes à la connaissance de la réalité, ainsi que la non moins difficile<br /> transmission de cette connaissance.<br /> <br /> <br /> Mais vous avez une responsabilité de messager, non ? Votre métier est de transmettre,<br /> non ?<br /> <br /> <br /> Ça me rappelle les expat’s d’ici tous très ouverts et curieux qui me décrivent Bamako à travers leur 4X4<br /> climatisée qui va de leur villa d’un quartier isolé très standing à leur bureau climatisé au centre ville et qui déplore la saleté de Bamako qui commence dès la sortie de leur Résidence : un<br /> tas d’ordures (les leurs entre autres) sur un terrain vague déborde sur la route . Et de s’étonner «  Que Bamako est sale » mais pas un seul réagit à ma question : votre quartier<br /> ne prévoit pas une cotisation pour gérer les ordures ? le mien (petite résidence de 100 maisons populaires) prévoit une cotisation de 1 000 Fcfa pour qu’un charretier ramasse nos ordures et<br /> les donnent aux paysans du coin pour leur champ… évidemment c’est pas la panacée ! de temps en temps, ces mêmes paysans brûlent la nuit (à la fraîche) ce qui ne leur sert pas de compost,<br /> c’est-à-dire plastiques et piles : ça pue et c’est une pollution de plus à respirer dans notre chère Bamako la bien nommée dans des temps anciens la<br /> coquette !<br /> <br /> <br /> Bonne continuation<br /> <br /> <br /> N’DIAYE Hélène<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> rebonjour<br /> <br /> A quoi ça sert, je veux bien vous répondre: je m'étonne de la circulation qui donne l'impression lorsque vous arrivez à Bamako qu'une vie intense vient de la campagne et y retourne sans<br /> discontinuer jour et nuit comme une sorte d'immense trafic assez improbable. j'ia ressenti la même chose à Dakar. Pour le reste, oui, en écrivant et en créant un blog, on transmet des informations,<br /> des données mêmes parcellaires (à moins d'en rédiger une encyclopédie), sauf que je suis toujours en colère que les mêmes questions se posent sur l'Afrique (notre rôle, notre "aide", nos intérêts,<br /> nos beaux échanges culturels) sans qu'il y ait une quelconque différence. donc je pose des questions comme vous vous en rendez compte. Après vous piourrez discuter de quel droit, sur la base de<br /> quelle autorité? sur les prétentions du journaliste?. je me défends de l'être comme ça la question est résolue. Je réponds encore sur le principe du citoyen qui s'octroie un moyen de discussion<br /> parmi d'autres, facteur de  démocratie. Après vous pouvez effectivement faire parler votre propre vécu, tout aussi intéressant, et démontrer que l'Afrique s'organise et invente localement.<br /> Tant mieux. Globalement, que va -t-elle devenir? j'ai connu (donc tout relativement) le burkina de l'intérieur sous Sankara, grand démocrate(?), l'organisation sociale était toutefois une pantomime<br /> néo-communiste tordue et maladroite. j'ai connu aussi les tiraillements d'une armée mise en alerte contre tout réflexion opposée au régime. je vivais chez un ami burkinabé leader d'information en<br /> opposition au pouvoir. Son beau-frère était néanmoins directeur de la télévision burkinabé contrôlée par Sankara. L'image extérieure n'avait rien  àvoir avec la réalité intérieure. Au bout<br /> d'un moment je me pose simplement la question simple et directe: est-ce que les populations d'Afrique francophone (que j'ai vaguement cotoyées) désirent réeellement un changement d'organistion de<br /> vie, de comportement, de consommation...<br /> j'oubliais: l'allégorie de la caverne dénonce l'illusion dans laquelle l'homme est entretenu. Il en est complice aussi, sauf que sortir de cette illusion pour regarder la réalité au grand jour (le<br /> vrai, pas la vérité) peut provoquer plus qu'un éblouissement, mais une cécité complète.<br /> <br /> <br />
N
<br /> <br /> bonjour à vous...<br /> <br /> quel coup de gueule<br /> qui révèle plus votre tempérament et humeur que les pays traversés<br /> <br /> je suis de Bamako et suis très étonnée du peu d'intérêt de vos quelques remarques sur la capitale malienne; cela révèle en fait un manque profond de curiosité de votre part pour la vie<br /> malienne.<br /> <br /> <br /> Bon voyage en 2010 !<br /> <br /> <br /> Hélène N'DIAYE<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> Bonjour, je pense que vous m'avez mal compris. Toutefois une précision si vous permettez: traverser un pays signifie tout. On ne fait que le ressentir, c'est obligatoirement subjectif,<br /> passagèrement, comme un passager. Autre précision, l'objectivité est un non sens. personne ne peut être objetcif, encore moins quand on donne, comme je le fais, qu'une remarque de deux lignes sur<br /> une ville. je n'ai jamais eu l'intention d'écrire un article sur Bamako. Cl. Lévi-Strauss avouait les limites de la connaissance et de la copmpréhension de l'autre. Un ethnologue qui suit par<br /> exemple une coutume funéraire, ne pourra jamais éprouver l'événement de l'intérieur et à plus forte raison qu'il n'est pas concerné, intimement et personnellement, par le deuil qu'il observe. Plus<br /> loin encore, la personne qui participe au deuil familial par exemple, sera bien incapable elle-même d'en faire une descritpion "objetcive". Pour le reste, la curiosité de chaun sur l'autre est en<br /> soi une qualité. son défaut est d'être attachée à un seul objet ou même détail de cette objet.<br /> <br /> <br />

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