Souvenirs pour avancer
Des facteurs positifs m'ont certainement permis d'avancer différemment même si je pense que ceux-ci auraient pu se présenter dans n'importe quelle circonstance de lieu. Seule l'époque interfère en faveur de ce qui m'a servi d'apprentissage ou d'école de la vie. Je signale que je ne tiens aucunement mon expérience en modèle de quoi que soit, mais en point de fondation de ce qui suivra. Disons que les enfants de mon âge avaient peu de perspective au-delà de la haie qui bordait le champ voisin. j'ai basculé vers plus âgé que moi, parce qu'enfant, les références adultes ou pré-adultes sont toujours plus attrayantes que les matchs de football congelés un dimanche matin d'hiver. J'avais donc dans mon entourage des débutants à la profession de la vie. Mon frère, bien sûr et ses amis. Ils abordaient la vingtaine allégrement. Parmi eux Jacques, qui après des études et aujourd'hui un emploi près de Dijon, n'avait qu'un souci en tête: Revenir au village. retrouver les parfums d'enfance, les nappes de gasoil du voisin mécanicien ou le bruit du marteau du forgeron qui a rendu l'âme bien avant le nouveau siècle. Odeurs et bruits se sont dissous dans l'histoire locale et son rangés dans les tiroirs d'une émotion étranglée. Jacques n'a pas réintégré le village. D'abord il aurait été en décalage complet avec la modernité aseptisée de l'endroit et en outre, sa maison familiale avait été vendue. Une ferme lui tendait son porche à quelques kilomètres de là. Jacques et Geneviève ont élu domicile ici dans un bout du monde presque paradisiaque au milieu des chevaux et des chiens. Jacques travaille toujours aux portes de Dijon. Geneviève est la pharmacienne du village, condition essentielle à leur survie dans ce no man's land. Une grange de la ferme a été reconditionnée et l'ami Jacques y restaure des machines outils de menuiserie aussi phénoménales les unes que les autres. Un jour viendra et il organisera des séjours découverte du bois clés en main. c'est tout le bien que je lui souhaite. En attendant ce retour aux émotions vraies, Jacques et Geneviève sont les amis les plus heureux de la terre, de cette terre. Dans cet environnement il y avait aussi Bertrand, qui après une formation à l'école horticole de Versailles, a pris l'orientation risquée des arts plastiques. Je suivais son parcours et recevais ces retours fréquents à Aignay comme le retour d'un héros. J'entendais Paris vibrer dans les conversations, mais surtout je découvrais ce que le terme de FIAC désignait. L'art contemporain pénétrait dans mes fortifications d'adolescent. En parallèle mon frère rapportait des trophées de son travail d'assistant réalisateur. ils s'appelaient "Nagra" pour la prise de son et Bétacam pour l'image. Les contours de ma fascination se précisaient. 35 ans plus tard Bertrand, plus connu sous son nom de Bertrand Lavier expose à Bâle, New-York ou Tokyo en affichant un cours cv qui stipule simplement : " vit et travaille à Aignay-Le-Duc".
Et le temps a glissé comme un voile qui occulte cette tranche de vie. Derrière les coulisses s'agitent de rares personnes. Les trottoirs ont été balayés et l'éclairage public ne cesse d'assurer chaque nuit jusqu'à l'aube la sécurité de tous, une sécurité qui n'a jamais connu d'alerte. C'est ainsi que j'ai grandi dans ce maelström de musique, de peinture et d'images. Sans cela je ne sais pas vraiment ce que j'aurais fait . Imperceptiblement il m'a conduit là où je devais aller.