Amenez le mouton
Invité à animer un séminaire sur les nouvelles pratiques agricoles et en particulier celles qui s'adossent à une économie très disparate selon les continents, le marché de la laine, j'ai pu rencontrer des éleveurs français, britanniques, allemands, australiens, des créateurs de coopératives régionales, des directeurs de compagnies lainières européennes et des stylistes et designers impliqués dans une utilisation contemporaine de la laine. La journée instaurée à la Bergerie Nationale de Rambouillet a charrié son lot de bonnes et de mauvaises nouvelles. Les bonnes relèvent d'une réflexion générale et mondiale sur les méthodes appliquées à un développement durable et à une relocalisation des productions. D'une certaine manière nous revenons de loin et la France est un cas de figure extrême. La Bergerie Nationale en est un exemple flagrant. Cet ancien site royal, propriété de l'Etat, possède un cheptel de moutons mérinos importés d'Espagne sur ordre de Louis XVI, soucieux de gonfler les effectifs ovins de son territoire. Du peuple au mouton... En réalité ces mérinos hispaniques deviendront les principaux étalons de la race dans le monde. D'une certaine manière cet espace royal a engendré les immenses populations néo-zélandaises et australiennes qui font encore les beaux jours de cette agriculture de l'hémisphère sud. La moins bonne nouvelle est l'état actuel de cette pratique totalement abandonnée en France et échaudée ailleurs par les crises modernes. Le cas français est intéressant à plus d'un titre. Il est symptomatique d'un certain désintérêt pour les filières laine. En effet nul part, le produit laine n'est admis comme objet d'agriculture. Autrement dit, la laine est un épiphénomène parasitaire et satellitaire de l'agriculture. Pas de stratégie de production et de méthodologie agricoles, mais un seul garant: ses circuits économiques. Les conséquences sont nombreuses: la laine, hormis celle de races à haute qualité lainière tels les mérinos, est inexploitable. La tonte peut atteindre 5 euros par tête alors que la vente du produit oscillera entre 0,5 et 1,5 euro le kilo, pas de quoi rematelasser ce pendant du travail agricole. Pourtant personne n'ose contester les garanties naturelles de la laine et les multiples débouchés que promet son utilisation: textile, habillement, décoration, literie, création de design, construction et éco-habitat. Bref le mouton et son cheptel de quelques centaines de milliers de têtes en France n'a d'intérêt commercial que par sa viande. En résumé les déconvenues de la filière laine tiennent à la diminution du cheptel, aux désintérêts des éleveurs pour cette matière première naturelle, à l'absence de relations entre éleveurs et transformateurs ( sur ce point, la France est désarticulée, car quasiment dépourvue de centres de traitement de la laine, de filatures et de transformateurs-créateurs), au développement des fibres synthétiques et à un marché asiatique cinglant et donc à la délocalisation des industries lainières. Les troupeaux passent et la Woolmark aboie, car c'est bien là que réside le paradoxe puisque le marché lainier dispose d'un label Woolmark qui authentifie la qualité des produits. Face à cette réalité les grands pays lainiers que sont la Nouvelle-Zélande et l'Australie, malgré leurs légions de troupeaux, sont obligés à revitaliser un secteur qui périclite quand il ne s'essouffle pas. Il faut tenir compte encore d'une consommation de laine monumentale de la Chine qui dispose désormais d'un cheptel surabondant mais d'un défaut de traitement, qui pourrait facilement être réparé. Alors, ici et là ,se constituent des coopératives à l'image d'Ardelaine, contraction d'Archèche et laine, qui a su créer des empois, 45 salariés, et passer un contrat de partenariat avec 250 éleveurs qui se répandent sur un très large territoire entre Massif Central, Rhône-Alpes jusqu'au coeur de cette Ardèche rurale. 50 000 moutons passent ainsi à la tondeuse et les éleveurs arrondissent la fin de mois d'un marché peu juteux comme on l'a compris, en vendant le produit fini après traitement. Ce dernier suit des phases de lavage et de cardage qui sont strcitement respectueuses de l'environnement. Malgré ces efforts qui confinent parfois à l'utopie coopérative rurale écologique, la laine n'est pas pour autant reconnue comme biologique. C'est ainsi que le consommateur préfèrera acheter un produit asiatique qui, à moindre coût, paraît de toute aussi bonne facture. C'est pour cette raison que les industriels de la laine, qui tentent de lancer une relocalisation de la production, s'attachent à imposer une étiquette de provenance, d'un "made in", afin d'assurer en quelque sorte la traçabilité du produit. C'est dans ce contexte de reprise en main que la Bergerie Nationale vient d'annoncer très officieusement, qu'elle allait créer un conservatoire mondial de la race mérinos.
http://www.bergerie-nationale.educagri.fr